« Nous les algériens, même arrivés au fond, on continue
à creuser », cette boutade lancée par l’humoriste franco-algérien FELLAG,
lors d’un de ses sketchs, s’applique bien à la réalité vécue ces deux dernières
années à l’université Cadi Ayyad. En effet, depuis sa nomination à la tête de
l’université, le président considère que sa mission principale, à l’inverse de
son prédécesseur qui a favorisé une gestion déléguée des affaires de
l’université, consiste à jouer le rôle du « patron » qui contrôle
tout et a tout le monde sous ses ordres. Pour ce faire, il démarre son mandat
par une opération de « limogeage » de l’ancienne équipe de la
présidence, à savoir les deux vice-présidents et le secrétaire générale. La
façon musclée avec laquelle s’est opérée ce changement, étrange aux us et
traditions universitaires, n’est pas sans
nous rappeler des pratiques révolues, liées étroitement à ce que notre
mémoire collective garde de ce qu’on a communément appelé « les années de
plomb ».
L’instauration de la nouvelle équipe commence par la
nomination de son adjoint chargé des affaires pédagogiques et qui n’est autre
que l’un des membres de la commission chargée d’examiner sa candidature pour la
présidence. N’est-ce pas là un « vice de fond » en termes juridiques ou
un « délit d’initié » selon le jargon commercial. Son deuxième adjoint est l’un de ses
amis qu’il a déniché « hors zone » université Cadi Ayyad, qui s’est
avéré sympathique mais n’a pu supporter les sévices quotidiens d’une secrétaire
générale, choisie minutieusement par les soins du président pour
« assainir la situation chaotique » et faire « régner l’ordre »
au sein de l’université.
« L’assainissement de la situation » et le « rétablissement
de l’ordre » au sein de la présidence ont constitué les mots clés du
projet de ce président. Afin d’aller au bout de son « projet
ambitieux », le président a procédé par étapes. Dans un premier temps, il
a essayé de mettre de son coté les enseignants chercheurs en usant d’un langage
adapté à leurs attentes, en plus d’avoir démultiplier les nominations des
« chargés de missions » sans pour autant passer par les appels à
candidatures qui doivent constituer les garants de la bonne gouvernance et rester
en phase avec les mots clés de son « projet ambitieux ». Une fois la
confiance des enseignants chercheurs acquise, il a ouvert le feu sur les
administratifs de la présidence en les traitant de tous les noms et gare à
celle ou à celui qui ne se plie pas à ses ordres ou à ceux de sa secrétaire
générale. Faute de pouvoir élaborer des propositions en concertation avec les
représentants des administratifs dans le but d’entamer une opération de
redéploiement, il a été à l’origine de l’instauration d’un climat d’irrespect
et de suspicion au sein de la présidence, qui a fini par dégénérer et devenir
irréconciliable. Cette situation chaotique qu’a vécue la présidence, a montré
les limites des compétences de ce président dans la gestion des conflits. Pire
encore, plusieurs tentatives de réconciliation, menées par des enseignants
chercheurs de bonne volonté, sont arrivées à l’impasse, car ce président déclare avec fierté qu’il est
une tête dure qui ne cède jamais et qu’il est capable d’écraser tout individu
qui se met sur son chemin.
Pendant cette période de crise, les établissements et partant
les enseignants chercheurs ont énormément souffert du blocage de leurs affaires
courantes (dossiers non signés à temps, marchés bloqués, etc…). Les
répercussions de cette crise se sont fait sentir beaucoup plus à la faculté des
sciences, qui avait un besoin urgent de réhabiliter ses salles des TP qui sont
devenus vétustes et ne disposent plus des conditions minimales de sécurité (hottes
non fonctionnelles, plomberie dans un état dégradé, etc…). Le conflit entre la
présidence et les administratifs, a duré plus d’une année et a connu des
périodes de violence inouïe et indigne de l’image que doit véhiculer
l’université à la société. En effet, les deux protagonistes ont utilisé des
moyens très regrettables, qui ont porté atteinte à l’image de marque de notre
université.
En outre, ce président a eu « l’idée géniale » de
s’approprier le projet de la création d’une cité d’innovation qui a été initié
par ses prédécesseurs. En s’octroyant ce projet, il a fait tout un tapage
médiatique autour, considérant qu’il va soigner tous les maux dont souffre la
recherche scientifique dans notre université. Malgré l’opposition farouche des
membres du conseil de la faculté des sciences Semlalia à la façon de financer
ce projet, puisqu’il va piocher dans le budget du programme d’urgence
(45.000.000,00 DH) dont les établissements ont énormément besoin pour compléter
leur mise à niveau qui permettra d’engranger la massification galopante,
surtout dans les établissements à accès ouvert. Profitant de sa « lune de
miel » avec les représentants des enseignants chercheurs au conseil de
l’université, il a pu avoir l’accord de ce conseil. Jusqu’à date d’aujourd’hui,
la mise en œuvre de ce projet, est encore à son état embryonnaire et a été
entachée de certaines irrégularités à commencer par l’appel d’offre de l’architecte.
L’appel à candidature au poste de directeur de L’ENSAM, a
constitué un tournant décisif dans la relation entre la présidence et les
représentants des enseignants chercheurs. En effet, le président a concocté une
commission à sa guise pour avantager l’un de ses protégés, un proche parent de
sa secrétaire générale et disqualifier le directeur sortant qui a refusé de se
plier à ses ordres. Des voies se sont levées au conseil, pour dénoncer ces
pratiques indigne d’une institution supposée être à l’avant garde de la société,
pour consolider les principes de base de la démocratie, à commencer par
l’égalité des chances et l’instauration d’une culture de la méritocratie. Cet
événement a constitué l’étincelle qui a éveillée « la conscience
malheureuse » des enseignants chercheurs qui avaient cru au « projet
ambitieux » de ce président. Furieux que des enseignants chercheurs osent
se mettre sur son chemin, le président a déployé tous les moyens de
communication pour les décrédibiliser au niveau du ministère, mais en vain, les
enseignants ont eu gain de cause et le concours a été annulé. Fort heureusement
pour le candidat déchu, il a pu décrocher le concours d’expert scientifique
lancé par l’AUF que dirige le président.
Au divorce de la présidence avec les administratifs, vient
s’ajouter un deuxième plus douloureux avec les enseignants chercheurs. Le
président, sûr de lui de par les relations qu’il prétend avoir avec des
personnalités très influentes dans les
hautes sphères de l’état, trouve un plaisir à faire sortir le refrain « je
n’ai de compte à rendre qu’à mon roi ». N’étais-ce pas là, le comble du
paradoxe qu’un président d’université sensé défendre les valeurs universelles
des droits humains, à savoir un état de droit dans lequel nul n’est au dessus
de la loi, vient entacher l’image de la monarchie qui ne cesse de rappeler son
adhésion irrévocable, au projet d’une société moderne et démocratique.
Notre pays déploie d’énormes efforts pour réformer son
système éducatif, afin de le rendre capable de garantir une formation de
qualité qui facilite l’intégration de nos citoyens dans la société
d’aujourd’hui et de demain. Parmi les conditions principales de réussite de ce
projet ambitieux, il y a l’optimisation de l’utilisation des ressources
humaines, qui ne serait atteinte que par l’établissement d’un cadre, où doit
régner la confiance, la paix et le
respect de la dignité humaine. On ne peut espérer concrétiser un projet aussi
parfait qu’il soit, s’il n’acquiert l’adhésion des premiers concernés, à savoir
les enseignants chercheurs, les administratifs et les étudiants. Un président
d’université se doit d’être capable de faire adhérer l’ensemble des composantes
de l’université, en commençant par faire régner une ambiance de confiance, de
respect et de paix entre ses collaborateurs et non de semer la peur, la
suspicion et le lynchage de tout ce qui ose lever le petit doigt pour critiquer
sa gestion.
En résumé, à part le tapage médiatique autour de
projets qui n’ont pas pu dépasser le stade de « maquette » (
cité de l’innovation, MOOC, etc…), notre université a rétrogradé ces deux
dernières années, puisqu’ au lieu de constituer un havre de paix et de
tolérance comme jadis, qui rayonne par son savoir, elle s’est transformée en un
ring où tous les cous sont permis même les plus abjects.
J’ose espérer que ce président agit à sa guise et qu’il
constitue un cas isolé guidé par son narcissisme et non qu’il s’inscrive dans
un projet de déracinement des acquis de l’université publique, comme certains
aiment à le répandre. Je reste persuadé que nos responsables sont convaincus
que la crise que traverse notre enseignement exige de nous tous des sacrifices.
En parallèle aux efforts financiers consentis par l’état, les potentialités
humaines doivent être optimisées. Ceci exige des responsables réconciliés avec
l’histoire de notre pays et confiant en nos citoyens, se comportant avec
respect et considération envers eux. Il est révolu le temps du « big
brother », nous avons milité depuis notre jeune âge pour un état de droit
qui respecte les valeurs intrinsèques des droits humains. Nous estimons avoir
fait un bon bout de chemin dans la concrétisation de ces droits. Le processus
de démocratisation de notre pays est irréversible.
Il est hors de question de permettre à quiconque de remettre en cause nos
acquis démocratiques arrachés par tant de sacrifices consentis par les militants
de toutes les forces vives de ce pays.
Kandani Najib
Chef de Département de Chimie
Faculté des Sciences Semlalia-Marrakech




























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